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Essais du sans labour en agriculture biologique

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Le programme Reine Mathilde a testé deux types de rotations de cultures bio. Les comparaisons ont été observées avec ou sans labour sur chacune d’entre elle.

Dans le cadre du programme Reine Mathilde, un essai pluriannuel a été mené de 2019 à 2021 pour répondre à l’interrogation de nombreux agriculteurs sur la pratique du sans labour en agriculture biologique.
Le sujet est un vrai défi car le labour à un rôle important de désherbage. Exploitant en conventionnel sachant déjà se passer de la charrue, ou éleveur bio n’arrivant pas à s’en détacher, tous se rejoignent à penser qu’il faut trouver des systèmes de culture moins bouleversants pour le sol et sa vie biologique, tout en stockant du carbone. Peu de fermes se sont déjà lancées en agriculture biologique de conservation. Les nouveaux essais du programme Reine Mathilde implantés sur le GAEC Guilbert près de Villers-Bocage (14) tentent d’apporter leur pierre à l’édifice.

Le dispositif
Deux types de productions bio ont été suivis. Un en élevage avec des cultures fourragères et grains autoconsommés et l’autre en culture qui comprend des céréales de vente. Ils ont été pratiqués chacun avec et sans labour c’est-à-dire avec un travail superficiel (pas de strip-till ni de semis direct). Quatre rotations ont donc été implantées suite à la destruction d’une prairie. Le programme visait à mesurer les effets sur le salissement, la structure du sol, la biodiversité dans le sol, le bilan du carbone, le lessivage de l’azote, le temps de travail, la consommation de carburant, les charges de mécanisation et la marge brute ou nette. Afin de se rapprocher d’une « conduite agriculteur » classique, le dispositif labour permet de retourner le sol une fois par an. Mais s’il y a 2 cultures dans l’année, l’une peut être implantée sans labour.
Le sol au début de l’essai avait un taux de matière organique de 3,6 %, un rapport C/N de 9,9, un pH de 6,7 et une CEC de 9,7 cmol+/kg. Les indicateurs sont regroupés en quatre grands thèmes : itinéraire technique / composantes du rendement, indicateurs liés au sol, observations des adventices et indicateurs économiques. Ces indicateurs ont ensuite été traduits en évaluations qualitatives per-mettant de visualiser l’impact de l’itinéraire technique sans labour par rapport à un sol retourné.

Les résultats
Les chiffres présentés sont issus uniquement des cultures de vente.
Les densités de semis étaient identiques en labour (L) et sans labour (SL). Les levées sont différentes selon les modalités. Par exemple, l’année de l’implantation de blé de printemps à 400 grains/m2, la levée a été de 195 pieds/m2 en L et 160 pieds/m2 en SL. Le rendement de la culture a pourtant été de 25,1 q/ha en L et 31,1 q/ha en SL. En 2020, après l’interculture de colza fourrager, un maïs a été semé à 110 000 grains/ha. On observe une levée en L de 70 000 à 90 000 pieds/ha (donnée absente en SL). Les rendements constatés ont été de 6,7 t MS/ha à 29,7 % MS en L et 5,8 t MS/ha à 29,1 % MS en SL. En 2021 après des semis de triticale/féverole en densité de 190 + 31 pieds/m2, la levée constatée était de 93 + 21 pieds/m2 en L et 100 + 22 pieds/m2 en SL. Les rendements obtenus ont été de 18,7 q/ha de triticale et 34 q/ha de féverole en L contre 21,4 et 29,2 en SL (- 2 q/ha au total).
Concernant la vie du sol des comptages de vers de terre ont été réalisés. En 2020, le nombre le plus important est en L puis l’année suivante en SL.
Concernant les reliquats d’azote du sol en 2020, il a été constaté 12 kgN/ha en L et 13 en SL puis, en 2021, 26 en L et 36 en SL. Concernant les adventices en 2019, 50 à 150 adventices/m2 ont été observés en L pour 200 en SL. En 2020, alors que le salissement avec des chénopodes était important en SL, il était modéré en L et les herbes moins développées grâce à un buttage plus efficace. En 2021, la densité d’adventices représentait 110 kg MS/ha en L au début de l’été contre 470 en SL. Concernant les indicateurs économiques, le nombre de passages a été le même dans les deux modalités sauf en 2019 (7 pour le labour et 9 pour le sans labour). La marge avec mécanisation a été de 606 €/ha sur le blé de 2019 en L contre 811 €/ha en SL. Pour le maïs de 2020, elle montait à 471 €/ha en L et 336 €/ha en SL ; sur triticale/féverole 1 129 €/ha en L et 1 114 € en SL (attention dans le 64, les ordres de grandeur sont inversés entre maïs et céréales).

Les enseignements
Au bout de trois ans de rotations, les auteurs confirment les impacts du SL. La gestion des adventices est plus difficile et croît dans la durée. La rotation, la couverture des sols et le désherbage deviennent primordiaux. La succession annuelle méteil puis maïs durant deux années, a été dans cet essai amplificatrice du salissement. La consommation en carburant est plus importante en sans labour lors de la destruction de la prairie temporaire mais des économies sont possibles durant les campagnes suivantes. C’est globalement le même schéma qui est observé pour le nombre de passages, le temps de travail et la marge semi-nette. La conduite sans labour a un effet positif sur la stabilité structurale du sol quand on travaille en bonnes conditions, ainsi que sur la biomasse microbienne. C’est l’inverse sur le nombre de vers de terre. Les endogés en particulier sont plus nombreux dans les situations labourées.
Les itinéraires techniques doivent être adaptés au sans labour d’une année sur l’autre : c’est l’état du sol et le salissement qui vont guider. Ceci peut induire par exemple un report de date de semis de l’automne à la fin d’hiver lorsque le sol est trop humide comme un changement de la rotation, pour lutter contre les vivaces dans des intercultures longues.
Des points de discussion apparaissent : est-ce que le système avec labour est plus résilient (rendement, adventices) dans le sens où il pardonnerait plus les erreurs ? Est-ce que le sans labour dans les conditions de l’agri-culture biologique est possible sur du long terme ou faut-il garder le labour en solution de secours ? Est-ce viable économiquement ? L’effet du travail du sol répété en sans labour aurait-il un impact négatif sur certains com-partiments de la vie du sol ?
Bien sûr d’autres questions subsistent pour la suite du programme concernant notamment le bilan carbone, l’impact à long terme sur le salissement, la vigueur des cultures en SL qui semble plus importante…
Mais d’ores et déjà quelques préconisations ressortent de cet essai. Il est nécessaire de mettre en œuvre les moyens pour réussir la destruction de la prairie : en été avec des conditions séchantes, avec un outil rotatif qui travaille superficiellement, laisser quelques jours de dessèchement avant d’implanter une culture intermédiaire. Décaler les dates de semis et la réalisation des travaux du sol quand le sol n’est pas assez ressuyé, voire changer la culture prévue. Concernant le salissement, il faut limiter la présence des résidus de culture pour pouvoir désherber mécaniquement. Lorsqu’il est prononcé dans une ferme d’élevage on peut ensiler une culture prévue pour une récolte en grain, ou bien introduire un méteil couvrant à récolter tôt. En cas de vivaces, couvrir a minima pour travailler en surface avant et après ce couvert et être attentif sur l’état de salissement de la culture en végétation. Dans le pire des cas : retourner une culture mal partie pour limiter le développement des adventices et bien respecter les fondamentaux de la rotation (deux maïs de suite ont favorisé l’amplification du salissement avec des adventices estivales). Et garder la charrue dans la boîte à outils si nécessaire, surtout pour rattraper un salissement en dérive. Ne pas être manichéen : multiplier le nombre de passages d’outils ou labourer : quel est le pire ?

Contact : Ludivine Mignot,  conseillère bio Chambre d’agriculture 64, à partir du document de synthèse rédigé par Thierry Métivier, Jacques Girard, Amandine Guimas et Caroline Tostain des chambres d’agriculture de Normandie