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Le marché des céréales bio et la crise ukrainienne

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Comme pour les conventionnelles, et par ricochet, le marché des céréales bio est fortement perturbé par la guerre en Ukraine et par l’épidémie d’influenza aviaire qui s’étend dans l’Ouest.

La Coopération française a réalisé une enquête sur la collecte de céréales bio en 2021, auprès de ses collecteur, qui représente environ 72 % de ce marché avec des disparités selon les productions. Au niveau national, la part de C2 dans les productions est très variable sur la collecte totale. Elle diminue de 17 % en 2021 par rapport à 2020 alors que la collecte de bio a augmenté de 46 %. 
La récolte de blé a été en augmentation ainsi que celle des céréales à paille. Celle de maïs C2 a diminué en réponse à la demande des coopératives alors que le maïs bio a augmenté. La récolte de soja a augmenté de 10 tonnes. Les oléagineux bio sont en hausse et suivent la demande du marché. La campagne en légumes secs (lentilles, pois chiches) a été mauvaise ce qui a permis d’assainir les stocks. Le débouché de l’alimentation animale a été multiplié par deux en 5 ans aux trois-quarts pour les volailles, avec 54 % pour les pondeuses, 21 % pour les poulets, 11 % pour les porcs et 10 % pour les bovins. La fabrication d’aliments pour le bétail (FAB) représente 60 % de la valorisation des céréales bio.
L’export est en fort développement avec des demandes des pays voisins européens. En effet, l’augmentation du coût du fret rend les prix de la production française attractive et la non-disponibilité de matières premières de Russie et d’Ukraine favorise ce phénomène. Ainsi, les exportations dépassent les importations pour la première fois en 7 ans. Le stock final de maïs français est donc historiquement bas, mais la jointure est assurée. Il y a une absence de repos C2 dans le Sud-Ouest. La part de C2 prévisionnelle pour 2022 diminue également.

Actuellement, Il n’y a pas de pénurie d’alimentation animale bio pour la campagne 2021- 2022 en raison de la baisse de la production de volailles. L’Italie et l’Allemagne continuent à consommer bio et vont continuer à en demander plus. Pour la récolte 2022, la demande reste élevée et vacertainement tirer les prix vers le haut. En 2021, une partie du C2 a été écoulée sur le marché conventionnel qui avait des prix plus rémunérateurs. Les opérateurs doivent se mettre d’accord pour maintenir une certaine quantité de matières premières pour le marché intérieur. La volonté de la coopération française est de maintenir un prix bio supérieur au conventionnel.

Géostratégie
La crise ukrainienne impacte le marché des céréales, tant bio que conventionnel. L’impact est assez mesuré sur le prix des marchés bio par rapport à ceux du conventionnel. On était dans une situation où il devait y avoir des stocks bio de report sauf sur les protéines car les Espagnols ont acheté du soja dans le Sud-Ouest. Sans report de stock de l’année, le manque de protéines bio est envisagé. Toutefois, il est à modérer au regard de la crise d’influenza aviaire. Sur la Vendée et les Deux-Sèvres, 130 éleveurs vont devoir appliquer une non-remise en place de volailles pendant les 3 prochains mois. Sur la filière œufs plutôt en  surproduction. L’influenza aviaire va impacter les mises en place en tendant le marché des poulettes qui s’élève de 4 à 6 mois et avec des couvoirs dans la zone d’influenza aviaire qui impactera la production d’œufs pendant un an.
Les prix des céréales conventionnelles viennent flirter avec les prix du bio. Ces derniers n’ont pas bougé car il n’y a pas d’échange physique de matière. Les filières se sont, pour la plupart, couvertes jusqu’à la prochaine récolte. La bio n’est pas indexée sur le Matif comme le conventionnel et du coup les prix sont beaucoup moins volatils. Si c’était le cas, cela amènerait un risque de baisse des prix lors de la baisse de ceux du conventionnel. Les prix du colza et du tournesol conventionnel flirtent avec les prix bio mais les coopératives françaises veulent maintenir un différentiel de prix sur la campagne à venir.
Tous les pays de l’Est qui ont peu de capacité de stockage ont déjà vendu sur le marché à terme car le prix est plus intéressant que le marché biologique. Avec le conflit ukrainien, ils auront tendance à garder leur production pour nourrir leur population ce qui renforcera le contexte inflationniste. Les matières industrielles sont également impactées (plastiques, carton, palettes, verre…) ce qui impacte les entreprises de transformation.
Sur 2021, les hausses de matières premières étaient déjà importantes. Le conflit ukrainien tend le marché des matières premières, de l’énergie, de l’engrais ce qui vient impacter les matières organiques utilisées en bio. Des composts sortis bout de champ passent de 70 €/tà 150 €/tetlesproducteursconventionnels sont prêts à les acheter pour remplacer les engrais minéraux qui deviennent hors de prix. Or, les unités de compostage en Bretagne ou en Vendée qui s’approvisionnent énormément dans les exploitations volaillères voient leurs matières premières s’amenuiser avec l’influenza aviaire.

Inflation
La bio sera-t-elle en mesure de supporter cette inflation ? Les metteurs  en marché parlent de 130 €/t, révisable chaque trimestre au lieu d’annuellement. La hausse attendue est de l’ordre de 7 à 8 %. Il peut y avoir d‘autres facteurs aggravants comme le changement climatique et certaines matières premières qui ne seront plus disponibles en Europe. Des problèmes d’approvisionnement en fertilisant utilisable en agriculture biologiques ont déjà constatés en lien avec la forte demande des conventionnels.
Énormément de semences sont issues des pays de l’Est. Ainsi, celles de tournesol risquent aussi de venir à manquer, c’est pourquoi l’INAO travaille à permettre l’usage de semences non traitées avec dérogation. L’augmentation des prix à la consommation des produits conventionnels va ramener les consommateurs à manger bio si les prix sont contenus. L’enjeu des fertilisants reste fort tant en disponibilité qu’au niveau des tarifs. Actuellement, la demande à l’export est forte mais tous les acteurs de la filière française souhaitent préserver le marché national avant tout. Il est important de continuer à produire pour fournir les filières hexagonales qui se développent depuis tant d’années. Malgré tout, certains agriculteurs stockeurs qui ont de gros volumes spéculent et vont au plus offrant. Des inquiétudes restent au regard du C2 vendu en conventionnel en 2022. Les agriculteurs bio risquent d’aller au plus offrant (bio ou pas bio), il est donc important de proposer des contrats tôt pour les coopératives pour la récolte 2022. L’enjeu est de ne pas vendre trop de volumes au pays limitrophes afin de pouvoir fournir le marché intérieur.
Les négociants ne sont pas sur des contrats pluriannuels, il leur est donc plus difficile de se projeter. Autres inquiétudes, les transformateurs et leurs clients demandent des garanties auxquelles il est difficile de répondre aujourd’hui. Les assolements 2023 devront être toujours aussi diversifiés et ne pas aller vers trop de protéagineux (sans engrais) ou sur des reports de cultures où les semences seront disponibles.
La déconversion est également suivie de près. L’Agence Bio ne note pas plus de déconversion que les années antérieures mais ce critère est suivi de près. L’agriculture biologique, par sa maîtrise de la fertilisation via les rotations, l’usage important de semences fermières limitant la dépendance aux intrants, reste une agriculture qui a pleinement sa place dans le contexte géopolitique actuel. À chacun de jouer avec très forte modération la carte  spéculative afin que l’agriculture biologique reste relativement préservée de ces soubresauts.
 

Contact : Ludivine Mignot, conseillère bio chambre d’agriculture des Pyrénées-Atlantiques